Art poétique
Toute réminiscence des arts poétiques de
Horace, du Bellay, Boileau, Hugo, Gautier, Banville, Verlaine, Aragon, Ferré
voulue et assumée.
À qui voudrait tenter sa Chance,
Je donne ma Leçon d'Errance :
Ici, nul Poète saigné,
Nul Sabre au Clair Porteur de Lyre,
Nul Amant de Muse imprégné
De son sempiternel Délire ;
Mais voici l'Esclave du Vers
Contraint par son Rythme pervers ;
Pleure, Toi qui te pensais Maître,
Ta Phrase s'encourt et s'enfuit,
Elle ne viendra se soumettre
Que si ta Plume la poursuit.
Faudrait-il, pour que je la voie
Sur Ordre accourir par la Voie
Qui la couche sur le Papier,
Comme une Chienne toujours prête,
Briser dans un Sabot son Pied,
Pauvre Cendrillon d'Opérette ?
Que le Mot te soit Souverain
Et la Langue un Tyran sans Frein.
Sans Pitié pour un Vers trop souple,
Sois plus féroce qu'un grand Chat
Envers celui qui mène au Couple
Une Rime comme un Crachat.
Chérir le Fond, mais dans la Forme,
Cueillir l'Idée, avec la Norme,
Dans la Mesure d'un Ronsard,
D'un Hugo, même d'un Verlaine ;
Que chaque Syllabe avec Art
Charme l'Oreille à perdre Haleine.
« Elle est vieille et bave ses Dents,
Ta Muse » disent les Ardents
Du Vers boîteux qui se croit libre.
Ô vous qui cherchez le Nouveau
Dans l'Aphte en vous branlant le Chibre,
La Beauté miroite au Cerveau.
Le Cœur est l'innocente Excuse
À la Bêtise qui vous fuse ;
Vingt fois lissez et polissez
Vos éprouvantes Logorrhées,
Et ne soyez jamais assez
Durs pour vos Fautes « inspirées ».
Par qui, par quoi, quel Esprit gourd,
Par quel Dieu fainéant et sourd,
Ces Élucubrations verbeuses,
Sans Ponctuation, sans Efforts,
Qui vont sous les Plaines herbeuses
Retourner les Poètes morts ?
La Muse nue est un Squelette,
Une vulgaire Pipelette
Qui se vend au premier Venu :
Poésie, un Mot qui boursoufle !
Lecteur, ne sois pas ingénu :
Donne-lui du Corps et du Souffle.
Tourne ses Hanches, et ses Seins,
Chantourne-les à tes Desseins ;
Peaufine sa Chair ferme et douce ;
Un frais Parfum de Nénuphar
Pour son Cou ; pour ses Yeux de Rousse
Formule et prépare le Fard.
La Muse n'est habituée
À s'élever dans la Nuée
Qu'en fines Robes de Satin ;
Offre, pour un Sourire d'elle,
Offre à la lyrique Putain
Le Corset qui la rendra belle :
De la Musique, et puis du Son
Voltigeant au Cheval d'Arçon ;
Comme une Abeille en son Royaume
Qu'elle danse et vibre dans l'Air,
Mais dans le Respect de l'Idiome !
Folle, que ton Verbe soit clair !
Grammaire, Orthographe et Syntaxe,
Qu'elles te restent comme un Axe,
Comme des Guides dans ton Poing,
De l'Ouverture Majuscule
Jusqu'au Final du dernier Point,
Par les Soupirs de la Virgule.
Quels Poumons peuvent proférer
Ces Tirades sans respirer ?
Ne donne à ta charmante Idiote
Ni ces Adjectifs sirupeux,
Ni cette Tournure vieillotte
Que prisent les Pédants pompeux,
Mais la Langue simple et vivante,
Ni libertine, ni savante,
Que dit la Maîtresse à l'Amant :
Quelques Mots au creux de l'Oreille
Qui disent tout un Sentiment,
Et c'est le Cœur qui s'émerveille !
La Tête saine et le Corps sain,
Voilà, j'ai fini le Dessin
D'une très raisonnable Muse ;
Mais j'avoue avoir emprunté
Quelques Traits, et cela m'amuse,
À la Voisine d'à Côté.